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CHRONIQUE «VOUS ÊTES ICI»

Comme de coutume, un gigot-bitume

Par Sibylle Vincendon — 30 janvier 2020 à 15:04


En avril 2019, à Paris. Photo Joel Saget. AFP

 

Chaque semaine, une histoire de villes, de villages et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, pleins feux sur une tradition gastronomique des travaux publics réactivée sur les chantiers du métro Grand Paris Express. A déguster samedi à Villejuif.

 

Ecartons tout de suite le pire : dans la recette du gigot-bitume, le gigot ne cuit pas directement dans le bitume et heureusement car, rien qu’en l’écrivant, on a déjà la nausée. La viande est emballée et suremballée dans une épaisse papillote de feuilles d’aluminium et de papier kraft. Après deux heures de mijotage dans la mixture dont on fait les routes, contrairement à ce que l’on pourrait craindre, elle n’exhale pas la moindre odeur pétrolière. A vrai dire, le gigot cuit de cette façon est un délice.

 

Les sceptiques pourront le vérifier lors de la fête KM8, qui se tient ce samedi à Villejuif (Val-de-Marne) sur le chantier du nouveau métro Grand Paris Express. Comme lors des sept fêtes KM précédentes, la Société du Grand Paris proposera au public son désormais fameux gigot-bitume. Ou plutôt les 38 exemplaires qu’Yves Lebreton, traiteur, va préparer. «En principe, on compte un gigot pour dix personnes mais là, on fait juste une dégustation et on coupe chaque tranche en quatre.» Premier arrivé, premier servi.

 

«Viande dorée»

La recette est assez simple. Pour 380 personnes, il vous faut : 38 gigots, un fondoir à bitume (chez les vendeurs de matériel de génie civil ou d’étanchéification), 20 kilos de pain de brai solide (chez les shipchandlers qui le commercialisent pour le calfatage des coques de bateau), 266 feuilles d’aluminium et 228 de papier kraft. Préparation : préchauffer le fondoir à 250 degrés ; emballer le gigot dans une feuille d’alu dans le sens de la longueur, serrer, lui faire faire un quart de tour, remettre une feuille, serrer, un autre quart de tour et ainsi de suite jusqu’à épuisement des sept feuilles d’alu ; procéder de la même manière avec le kraft ; ficeler le tout et plonger l’ensemble dans le bitume chaud en veillant à accrocher la ficelle au bord du fondoir pour le repêcher à la fin. Cuisson: deux heures. Une fois cuit, le déshabillage de la pièce est un moment de haute dextérité, entre le risque de se brûler et l’impérieuse nécessité de préserver la viande de la sorte de poix noire dont elle est extraite.

 

«J’ai des collègues qui font cuire une heure quinze à une heure trente mais ça ne suffit pas, le gigot est presque cru», explique Yves Lebreton. Comment ça, «presque cru» ? Pour le profane, le miracle tient plutôt au fait qu’après deux heures à 250 degrés, le gigot ne soit pas totalement carbonisé. Pour Yves Lebreton, le risque tient plutôt à une mauvaise évaluation du nombre de feuilles : «Avec quelques épaisseurs de papier en plus ou en moins, ça change la cuisson.» Mais si on dose bien, c’est magique : «Le kraft isole, l’alu diffuse la chaleur mieux qu’un four, même ventilé. La viande est dorée, dans son jus, pas sèche du tout.» C’est vrai.

Photo Yves Lebreton

 

«Tradition qui tend à se perdre»

Yves Lebreton fait une centaine de gigots bitume par an, parfois pour des mariages. «Mon tout premier, c’était en 1988, sur le chantier de l’A86 à la Croix-de-Berny. J’étais là en tant que traiteur, je débutais et j’ai vu les ouvriers de la Smac faire cuire un gigot dans leur camion, là où il y avait le gros fondoir.» C’est l’une de ces traditions que les corporations de bâtisseurs ont longtemps pratiquées, comme le «bouquet final» : la plantation par le plus jeune compagnon d’un arbuste sur le plus haut point du toit terminé. Le gigot-bitume ne se cuit en principe qu’à la fin du chantier et se fait de moins en moins. En 2011, le Moniteur du bâtiment et des travaux publics déplorait «une tradition qui tend à se perdre». La Société du Grand Paris a remis le couvert : dès qu’elle descend un tunnelier dans les sous-sols parisiens, hop, gigot-bitume! Ce samedi à Villejuif, ce sont deux tunneliers qui se croiseront : celui qui fore la ligne 14 nord-sud et celui qui perce le tracé de la ligne 15 en rocade autour de la capitale. Gigot ? J’y go !

Sibylle Vincendon


VOIR L'ARTICLE SUR LIBERATION.FR : https://www.liberation.fr/france/2020/01/30/comme-de-coutume-un-gigot-bitume_1776046

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